Subdélégués et Subdélégations

sur le territoire du département, sous l'ancien régime

Lorsqu'en lisant le Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne d'Ogée de 1778 sur les paroisses des Evêchés ayant constitué les Côtes-du-Nord, puis les Côtes d'Armor, on rencontre le mot «Subdélégation». On peut être amené à penser qu'en matière de division territoriale, c'est un mot complètement inconnu. On peut alors consulter les dictionnaires, et même dans un Larousse en sept volumes du début du vingtième siècle, on ne trouvera aucune réponse intéressante au sujet d'une division territoriale de l'ancien régime.


Les différents historiens connus dans notre département Lamare ou Hillio pour Saint-Brieuc, Odoricci ou Lemasson pour Dinan, Dutemple ou Quernest pour Lamballe, Ropartz pour Guingamp, n'ont jamais employé le mot de Subdélégation.


Depuis, en cherchant dans le détail, on peut trouver peut-être des allusions chez différents auteurs, ainsi:
L'Abbé Ruffelet dans «Annales Briochines» de 1771 présente des tableaux de juridictions par subdélégations avec l'aide des subdélégués des chefs-lieux. Régis de Saint-Jouan à la page 10 de son Dictionnaire des Communes dit qu'Ogée a été aidé pour écrire son Dictionnaire de Bretagne: «L'Intendant avait mis à contribution ses subdélégués pour en fournir les éléments».
Daniel de La Motte Rouge dans «Vieilles Demeures et Vieilles Gens» parle plusieurs fois d'un subdélégué de Lamballe.

La vraie réponse, elle se trouve ailleurs, dans l'ouvrage: «L'Intendance de Bretagne (1689-1790)» d'Henri Fréville, qui parle dés 1953, de subdélégations et de subdélégués et bien plus tard dans les éléments intéressants d'un ouvrage de spécialistes du CNRS: «Cartes des Généralités, Subdélégations et Elections en France à la veille de la Révolution de 1789» par Guy Arbellot et Jean-Pierre Goubert en 1986.


En résumé, il semble que les subdélégués et les subdélégations sur le territoire des Côtes d'Armor ont été complètement oubliés de nos principaux historiens des XIXe et XXe siècles.


Nous allons donc voir rapidement le rôle des intendants, avant de nous attacher aux fonctions et au rôle des subdélégués, puis nous essayerons de fixer les limites dans le temps des subdélégations sur le territoire des Côtes d'Armor.


Les Intendants

Avant de parler des subdélégués, il nous faut parler des intendants, car la Bretagne fut la dernière des provinces françaises à recevoir un intendant. En fait, le Gouverneur, les Etats et le Parlement administrent la province. Nous ne trouvons des intendants en poste fixe à Rennes qu'à partir de 1689, ils étendaient leur autorité sur un territoire à peu près équivalent à cinq de nos départements contemporains: Ille-et-Vilaine, Côtes d'Armor, Finistère, Morbihan, Loire-Atlantique.


Les attributions de ces fonctionnaires étaient à la fois très étendues et très confuses. Et comme l'a écrit Bernard Barbiche: «Alors que le gouverneur représente toujours la personne du souverain, l'intendant presque toujours maître des requêtes, donc membre du Conseil du roi, est comme la projection de celui-ci dans sa circonscription, et il incarne une réalité abstraite: l'Etat». Il est détaché du Palais royal d'une façon permanente dans une généralité, en qualité de «commissaire départi pour la police, la justice et les finances», l'intendant est le véritable «Maître Jacques» de l'ancienne monarchie. Finances, travaux publics, police générale, agriculture, industrie, commerce, affaires religieuses, instruction publique, presse, assistance publique, l'intendant se mêle à peu près de tout, même du judiciaire et du militaire.


A cet égard, il peut être considéré comme le prédécesseur de nos préfets actuels. Tels sont les attributions en Bretagne au XVIIe siècle d'un Pomereu, d'un Béchameil de Nointel; au XVIIIe siècle d'un Feydeau de Brou, d'un des Gallois de La Tour, d'un Pontcarré de Viarmes, d'un Caze de La Bove ou d'un Bertrand de Molleville pour ne citer que les plus représentatifs des treize intendants qu'a connu la Bretagne en cent ans.



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Les Subdélégués

A partir du XVIIIe siècle, les intendants se font seconder par des «Subdélégués» à mission temporaire, les habilitant à enquêter au nom du «commissaire départi» et à le substituer autant de fois que cela serait nécessaire dans des affaires de police par exemple, mais seulement après en avoir reçu mission explicite.


Cette situation se trouva plus clairement définie lorsque le gouvernement royal crut pouvoir tirer des ressources nouvelles en érigeant les subdélégations en titre d'office. Par un édit d'avril 1704, il créa «dans chacun des évêchés des pays d'Etats, même dans les autres villes principales» des offices héréditaires de subdélégués.


L'édit marquait assez bien, dans ses termes, les caractères et les limites des fonctions des subdélégués:


«Recevrons, chacun dans leur département, toutes les requestres adressées auxdits sieurs intendants et commissaires départis, auxquels ils les enverront le plûtost que faire se pourra avec les éclaircissements et instructions nécessaires et leur avis et, dans le cas qui le requerront, dresseront leurs procez-verbaux qu'ils leur enverront aussi avec leur avis; recevront pareillement tous les ordres qui leur seront adressez par lesdits sieurs intendants et commissaires départis pour choses concernant notre service; les enverront aux maires, échevins, consuls ou syndics des communautés et tiendront la main à leur exécution.»


Les subdélégués de l'intendant n'étaient donc plus commis pour une seule affaire ou un seul type d'affaires; ils devenaient des collaborateurs locaux, territoriaux, à compétence étendue.


L'édit fixait le rang des subdélégués dans la hiérarchie des agents royaux: un rang très honorable, puisqu'il les plaçait aussitôt après les trésoriers de France et, dans les tribunaux ordinaires, auxquels ils avaient accès, aussitôt après le doyen des conseillers.


Leur rémunération était fort avantageuse: il leur était attribué des gages «au dernier 10 de leur finance», soit 10% du prix de l'office. Ils avaient aussi des privilèges fiscaux et de juridiction.


Nous allons examiner au fur et à mesure du temps leur différentes fonctions et l'évolution de leur carrière.


Un édit de janvier 1707 portait «création en titre d'office formés et héréditaires d'un greffier de la subdélégation dans chacune des villes du royaume où il a été établi des subdélégués». Cet édit, consacrait définitivement, au moins dans une certaine mesure, la transformation de ces fonctionnaires de contrôle en agents d'administration: les nouveaux titulaires des greffes étaient donc désignés, «pour faire, à l'exclusion de tous autres, toutes les fonctions de greffiers desdits subdélégués, rédiger par écrit les informations». Et l'édit ajoutait, ce qui caractérise précisément un service administratif, que les greffiers «garderont les minutes (des procès-verbaux), et en délivreront les expéditions aux parties lorsqu'ils en seront requis».


L'édit de 1707 donnait, en réalité, en créant des bureaux de subdélégation, une consistance nouvelle à l'institution qui s'établissait ainsi lentement. Il accroissait de ce fait, par son énumération, l'ensemble des attributions des subdélégués. Les premiers de ceux-ci, désignés par Ferrand de Villemain, purent ainsi asseoir leur prestige d'agent du pouvoir. En 1713, en effet, on comptait, sur 82 subdélégués en Bretagne: 25 sénéchaux, 2 procureur fiscaux, 2 procureur du Roi, 2 lieutenants du Roi, 2 alloués, tous gens considérés, dont le prestige accrut assurément l'autorité de la nouvelle fonction.


L'autorité des subdélégués ne faisait que croître, et comme l'a justement écrit R. Busquet dans «Etude sur l'ancienne Provence»: «en mettant un terme à leur existence comme officiers du royaume, l'édit de 1715 marquait l'avènement de leur importance administrative»; car une fois la guerre terminée, les offices de subdélégués furent supprimés par édit d'août 1715. Cet édit ne supprimait pas les offices de greffiers des subdélégations.


De 1704 à 1715, nous connaissons au moins en partie les subdélégués créés sur notre territoire par l'édit de 1704 et l'on sait que ceux-ci ont conservé leur office jusqu'à l'édit de suppression d'août 1715. Cette liste nous ait donnée par Julien Ricommard dans les «Annales de Bretagne» de Septembre 1961, nous y avons relevé pour:


A cette époque on ne trouve pas encore, semble-t-il, de subdélégué à Quintin, car en 1708, l'intendant Ferrand a recours à un «subdélégué» qui n'est pas le subdélégué ordinaire qui réside à Saint-Brieuc. Ceci laisse à penser que l'intendant Ferrand, utilisa en particulier, à coté de ses subdélégués en titre, d'autres personnes de confiance, mais dans des cas précis et limités. Quintin, Jugon, Loudéac, Paimpol, Uzel, Callac, Corlay et Rostrenen ont un subdélégué au moins à partir de 1713, car il figure dans les «Tableaux des villes et communautés de la province de Bretagne par subdélégation, avec les noms des subdélégués».


Les subdélégués ne perçoivent aucun traitement, dans le premier quart du XVIIIe siècle, il ne paraissent pas même recevoir de vacations, ils vivent du produit de leur profession propre. De temps en temps, ils touchent des «gratifications» du contrôleur général, mais celles-ci échoient généralement à quelques subdélégués en vue dans la circonscription, dont l'étendue requiert une particulière assiduité, ou qui ont rendu des services exceptionnels.


Agent du commissaire départi, ne relevant que de lui, les subdélégués sont commis à des travaux, recherches et enquêtes multiples: enquête sur les justices seigneuriales (1717), recherches de tous ordres relatives au soulèvement de Pontcallec (1718); enquête sur la mendicité (1718) à la demande du contrôleur général. Enquête, également, sur les hôpitaux, ils reçurent ordre de se faire présenter soit par les maires et communautés, soit par les particuliers, les effets royaux et autres papiers constituants «les fonds de charité»; ils visitèrent les locaux affectés aux hôpitaux et leurs rapports, très divers et de valeur inégale, ont fini par former un tableau assez précis de l'assistance publique en Bretagne à cette époque.


Dans ce même temps, en 1720, ils durent s'enquérir des ressources des communautés religieuses et reçurent toute autorité pour faire l'inventaire de leurs revenus. Le clergé régulier, puissant en Bretagne, sut employer des arguments de toutes sortes pour prétendre qu'il n'y avait aucune obligation légale à obéir aux subdélégués. Il voulut les dénoncer au Parlement. Malgré toutes ces protestations et oppositions, les subdélégués imposèrent progressivement leur autorité. Leurs fonctions apparaissent alors comme des fonctions de police et de contrôle administratif et financier: ils transmettent des ordres et en exécutent. Ils «informent» sur toutes choses, leur chef direct l'intendant.


En 1725, les registres de la Communauté de Lamballe racontent longuement les ennuis qu'éprouva la Communauté du fait du subdélégué Guérin de Fontreven. Car le lundi 25 juin, le subdélégué s'étant rendu au marché, «si ivre qu'il avait peine à marcher». Là il prétendit, «autant qu'il pouvait s'exprimer» qu'on devait lui fournir du grain. Enfin, il s'en alla «ne sachant ni ce qu'il faisait, ni ce qu'il voulait dire».


Quelques jours après, un fermier voulut s'expliquer avec le subdélégué. Celui-ci, «encore ivre», le fit arrêter le subdélégué n'était en état de rien entendre. «De pareils procédés sont inadmissibles» disait la Communauté, qui dépêcha son maire à Rennes pour exposer la situation à l'intendant, Feydeau de Brou, et requérir contre le subdélégué.


En 1728, l'intendant des Gallois de La Tour groupe les subdélégués par évêchés, ainsi les enquêtes, faites pendant qu'il exerçait ses pouvoirs prirent en effet, comme base, les évêchés.


Ce ne fut pas absolument le cas, pour la grande enquête menée vers 1730 sur l'état du commerce et de l'industrie. Le questionnaire de 1728 envoyé aux subdélégués était imprimé sous forme de tableau. Pour la première fois nous trouvons un répertoire sérieux et complet qui sera, dans l'avenir, tenu régulièrement à jour. L'intendant se préoccupe beaucoup d'exciter le zèle de ses subdélégués, il suit leurs efforts, leur envoie des lettres de félicitations ou d'encouragement et obtient pour les plus méritants d'entre eux, des «gratifications de Sa Majesté».


Le subdélégué est devenu, en Bretagne, après 1720, l'exécuteur des instructions du pouvoir souverain; c'est une nouveauté puisque auparavant les juges royaux seuls accomplissaient cette besogne. L'autorité du subdélégué s'est trouvée renforcée par la multiplicité grandissante des besognes qui lui sont confiées. Très soucieux de maintenir les réglementations de fabrication des toiles, par exemple, le contrôleur général eut tendance à exiger l'intervention constante de l'intendant, donc de ses subdélégués dans ce domaine. Ils doivent surveiller les commis préposés à la visite et à la marque des toiles. Mais ils font aussi des enquêtes sur l'activité des ports, sur la production des blés, fourrages et oléagineux, renseignent l'intendant sur le nombre et la marche des moulins, etc A ce sujet, une enquête de 1730 révèle qu'il n'existe que trois moulins à huile dans la province, un à Morlaix, l'autre à Lannion et le troisième à Dinan, ce qui est notoirement insuffisant puisqu'il en faudrait au moins quarante pour traiter l'ensemble de la récolte (graines de lin et de chanvre).


Quand, après la publication de la Déclaration du 27 janvier 1733, les intendants reçoivent mission de faire poursuivre très sévèrement les contrebandiers, les subdélégués doivent très souvent, instruire ces affaires dont le règlement du 25 mai 1728 attribuait la connaissance aux commissaires départis.


Non moins décisive fut l'intervention des subdélégués dans l'application des arrêts du Conseil du 13 janvier 1731 et du 26 août 1732 portant réduction du nombre et de l'étendue des parcs et pêcheries existant sur les côtes de Bretagne. Les propriétaires durent présenter leurs titres aux subdélégués, ce qui amena la destruction de certaines pêcheries sur les côtes de l'amirauté de Saint-Brieuc particulièrement.


Les subdélégués de l'intendant sont mis parfois à contribution dans d'autres circonstances, par exemple en 1730, il leur est demandé un état des librairies et imprimeries existant dans leurs circonscriptions. Pendant tout le XVIIe siècle la police de l'imprimerie n'avait pas, en effet, préoccupé le gouvernement royal; celui-ci n'avait réglementé ni le nombre des imprimeurs ni le lieu où ils exerçaient. Par arrêt du 21 juillet 1704 seulement le Roi fixa la liste des villes du royaume où l'exercice de l'imprimerie fut autorisé; il limita aussi le nombre des imprimeurs. En Bretagne, neuf villes: Rennes, Nantes, Saint-Malo, Vannes, Brest, Dinan, Dol, Quimper et Saint-Brieuc purent posséder des imprimeries.


Cette première et importante enquête devait être suivie d'un certain nombre d'autres en 1739, 1743, 1746, 1751, etc Les subdélégués reçoivent mission de renseigner exactement l'intendant sur les lectures du public et la vente des ouvrages.


Sous l'intendance de Le Bret, on s'efforça d'éliminer les subdélégués les moins sûrs, surtout ceux qui se pliaient mal aux directives de l'intendance et conservaient une liberté d'allure excessive. Dans une lettre adressée à l'intendant en 1753, le directeur du vingtième Laurent, après avoir loué le zèle des subdélégués, écrivait: «Mais il en reste une partie qui, par leur inaction, leur mauvais exemple, ou une mauvaise volonté dont ils croient se faire un certain mérite auprès de leurs concitoyens, deviennent les gens les plus dangereux et les plus capables de traverser vos vues par l'inexécution littérale de vos ordres ou par la manière de les annoncer».


Sous la même intendance, le service des postes aux chevaux crée en Bretagne en 1738, fut amélioré entre 1755 et 1759 dans l'organisation de lignes latérales, et sur notre territoire, des lignes de Dinard à Lorient par Lamballe, Saint-Brieuc, Loudéac et aussi de Guingamp à Plestin par Lannion. Les subdélégués de l'intendance reçurent pour mission, dont ils s'acquittèrent généralement de façon satisfaisante, de contrôler le fonctionnement de ces postes et de veiller à ce qu'un nombre suffisant de postillons et de chevaux fut toujours disponibles.


L'intendant Le Bret ayant affirmé ses idées sur la nécessité de multiplier les routes, d'accroître le commerce et les échanges, source de richesse générale et condition du développement et de la modernisation des villes et bourgs; il favorisa à Guingamp les réparations des pavés, l'amélioration des marchés, la transformation de l'hôtel de ville:
La communauté «d'une voix unanime» arrêta alors, par délibération du 8 mars 1755, d'apposer ses armes dans l'hôtel de ville «comme gage public de reconnaissance». La même année, la communauté de Tréguier, qui envisageait de meubler à neuf son collège, fut invitée à «employer toutes ses ressources à la continuation des quais, cales et ports». A Lannion, un ingénieur travailla avec soin à améliorer le port et à accroître la surveillance de la baie et de la rivière; l'intendant ordonna de multiplier les fontaines pour parer au manque général d'eau.


En 1761 et 1762, l'activité grandit encore et des travaux importants furent faits à Dinan, Lannion, Guingamp, Quintin, Tréguier, en particulier. Les subdélégués, ayant en charge ces différentes communautés se révélèrent assez efficaces pour attirer l'attention de l'intendance sur les problèmes qui se posaient à celles-ci.


Sous cette intendance, nous pouvons citer, Jean Armez subdélégué de Paimpol dans les années 1769, 1771 qu' Annie-Claude Ballini a décrit dans son livre sur Nicolas Armez, un de ses fils dans Un bleu des Côtes-du-Nord. Elle écrit notamment «Dans ses comptes-rendus, le subdélégué Armez apparaît comme un fonctionnaire consciencieux, méthodique, qui connaît parfaitement la réalité juridique et économique de la région de Paimpol». Ce subdélégué fera l'objet d'une lettre de cachet en 1783, à cause de déboires dans sa vie privée, il finira sa vie au Mont-Saint-Michel en 1786.


Sous l'intendance de Caze de La Bove, de 1774 à 1783, les subdélégués, ­ et ils étaient nombreux ­ qui n'étaient pas particulièrement ouverts aux idées nouvelles ni enclins à faire passer avant tout l'intérêt de l'Etat, se trouvaient néanmoins entraînés insensiblement à modifier leur point de vue et à devenir des agents actifs de transformation des murs et de l'esprit public.


Au moment où les communications devenaient plus faciles, il apparaissait utile aux intendants de posséder moins de subdélégués mais de trouver en eux des collaborateurs absolument sûrs et dévoués; de là, des projets de réforme de l'administration dont un des plus intéressants fut celui que Caze de La Bove exposa au contrôleur général dans un mémoire de 1775.


Ce mémoire, qui fait état de 65 subdélégués dans la province de Bretagne, propose de réduire les subdélégués à un petit nombre, de fixer des arrondissements qui ne soient pas trop éloignés de leur résidence, de renforcer la confiance et l'autorité de ceux-ci et enfin de fixer les subdélégués, «par les distinctions, les prérogatives et émoluments qu'on y attachera».


Pour réduire à vingt le nombre des subdélégués, il propose de créer pour ceux-ci vingt correspondants qui interviendraient dans trois ou quatre paroisses et pourraient tenir leur subdélégué au courant de l'agriculture, du commerce, de l'état ou du prix des grains, du passage des troupes, des maladies générales, des crimes, mais sous la surveillance très stricte du subdélégué, qui seul devrait rendre compte à l'intendance.


Nous avons à faire à tout un programme d'administration exemplaire de la province, sous des vues très actuelles, car il ne pouvait y avoir cumul de mandat: «Les subdélégués ne pourront donc plus être Maires des Villes, ni députés pour elles aux Etats, ni par conséquent députés des Etats à la Cour ou à la Chambre des Comptes».


Caze de La Bove souhaitait ardemment voir prendre ses propositions en considération. Mais il n'en fut rien, car son plan aboutissait à instituer purement et simplement un corps de fonctionnaires au sens actuel du terme et non un corps d'officiers comme on avait tenté de le faire en 1704. L'idée était fort intéressante mais le contrôleur général ne pouvait la retenir à cause de ses incidences financières.


Faute de pouvoir rétribuer ses agents d'une façon régulière et équitable, Caze de La Bove ne disposa pas d'un corps de subdélégués absolument homogène et dont il eût été possible d'exiger un travail régulier et impeccable. Ainsi le service du Roi, à l'échelon local, apparut comme devant être en fait aux mains des notables et cela contribua à rendre moins sensible l'autorité de l'intendant.


Lors de l'un de ses nombreux déplacements dans la province, Monsieur Caze de La Bôve était reçu chez ses subdélégués, comme le raconte Chassin de La Villechevalier dans son journal:


«M. Caze de La Bôve, intendant de Bretagne, arriva icy le jour du grand sacre, le jeudy 16 juin 1775. On fit une députation par délibération de la communauté, de huit jeunes gens pour aller à Uzel au devant de luy d'où il arriva à Quintin environ quatre heures et quart de l'après-midi et se rendit chez M. Clévry, son subdélégué où il fut peu de temps. On tira les boëtes à son entrée et à sa sortie qui environ les sept heures du soir qu'il partit pour Saint-Brieuc. Quand il entra à Quintin, la communauté alla à Carrebousse le recevoir et haranguer avec environ 80 hommes de la milice bourgeoise sous les armes et la maréchaussée qui alla aussi à Uzel. On lui présenta chez M. Clévry le vin de ville dans une corbeille qui estoit de 12 bouteilles de vin présenté par la communauté, que ses gens vendirent 12 sols. la bouteille comprise».


Pendant l'intendance de Caze de La Bove, il fallut intervenir pour pallier à la détresse des classes populaires dans la lutte contre les fléaux sociaux. Les subdélégués et les recteurs des paroisses diffusèrent avec soin des instructions concernant les moyens de déceler la syphilis chez les jeunes enfants et de soigner cette maladie; des instructions du même genre furent envoyées concernant les individus atteint de ténia et de la rage. A partir de 1779, un médecin, au moins fut officiellement chargé de veiller à l'état sanitaire de chaque subdélégation. En cas d'épidémie, si l'intendance envoyait des médicaments, le médecin les prescrivait, mais seul, le subdélégué, aidé des recteurs, distribuait les remèdes. Les subdélégués eurent désormais, en cas d'épidémie, charge de dresser un état de renseignements très précis dont le modèle leur avait été fourni, et de le transmettre au commissaire départi.


Les intendants nomment des subdélégués sur la base de recommandations faites par des gens du terroir, ainsi nous avons retrouvé aux Archives d'Ille-et-Vilaine, une lettre du 2 juin 1782 du subdélégué de Paimpol, M. de Kersaux remerciant l'intendant Caze de La Bove pour sa nomination:


«Je reçois avec la plus vive reconnaissance la nomination à la subdélégation de Paimpol que vous avez bien voulu m'adresser, je ne négligerai aucune occasion de vous prouver mon zèle pour l'exécution de vos ordres, et me ferai toujours un devoir absolu de soutenir auprès de vous, Monseigneur, le témoignage avantageux de messieurs du Bourblanc et de Tromelin ont eu la bonté de vous donner de ma conduite».


L'intendant entreprit d'intéresser ses subdélégués aux mouvements de population, il prescrivit de suivre de très près les variations de la population et d'en dégager les causes essentielles. Dés lors, et jusqu'à la Révolution, des rapports furent régulièrement envoyés à l'intendance dont l'analyse nous permet de nous faire une idée de l'état sanitaire et de la condition sociale de la population bretonne.


L'intendant Bertrand de Molleville (1784-1788) se préoccupa, plus encore que ses prédécesseurs, d'encourager ses subdélégués, de les défendre et de leur faire acquérir des «grâces» du Roi. Ayant perdu tout espoir, au moins pour le moment, de leur faire accorder un traitement régulier, il s'ingéniait à les faire récompenser par des «gratifications» gouvernementales.


Voulant les instruire de leur devoir et établir chez eux une façon commune de sentir et de servir, il décida en 1788, de réunir en un opuscule qu'il intitula Instructions pour MM. les subdélégués de l'intendance de Bretagne tous les conseils, toutes les informations qu'il avaient été amené à leur donner depuis son arrivée dans la province. Dans l'introduction du recueil, Bertrand de Molleville donnait une «idée générale des devoirs des subdélégués»:


«Un subdélégué honnête et éclairé qui remplit ses fonctions avec le zèle et l'exactitude qu'elles exigent, peut être regardé à juste titre comme un des hommes les plus utiles à l'Etat et à ses concitoyens; ses droits à la reconnaissance publique sont d'autant plus certains, que l'ambition d'obtenir cette récompense honorable, est nécessairement le seul motif qui peut l'avoir déterminé à embrasser un état aussi pénible et aussi assujettissant».


Un autre recueil, intitulé Recueil de différens réglemens fut constitué par ordre de Bertrand de Molleville, et permit aux subdélégués de l'intendant d'agir d'une manière commune.


A propos d'un arrêt du Conseil pris en 1785, l'intendant avait attendu les jours fériés de Pâques pour le faire diffuser, et certains subdélégués pris d'un zèle intempestif, tel le subdélégué Bellanger de Lamballe, ayant fait lire au prône cet arrêt, avait été décrété d'ajournement personnel. Bertrand de Molleville avait aussitôt sollicité du Conseil la cassation immédiate du décret de prise de corps. Faute de cela, écrivait-il au contrôleur général et au garde des Sceaux, «il ne se trouverait plus un seul subdélégué en Bretagne». L'arrêt du Conseil fut envoyé à Rennes, mais sans lettres patentes, aussi l'intendant n'osa pas le faire signifier au Parlement. Bellanger auquel la Cour avait renouvelé son ordre de paraître à sa barre se rendit auprès d'elle, malgré les instructions contraires de l'intendant. Ce dernier le révoqua dès lors purement et simplement pour désobéissance.


Lorsqu'en 1788, pendant le séjour de l'intendant à Paris, beaucoup de subdélégués correspondaient avec lui, car attachés eux aussi à la cause royale, tels Palasne de Champeaux de Saint-Brieuc, Limon de Quintin. Ce dernier figurera dans la liste des membres de la Commission de liquidation des anciennes affaires de Bretagne, formée au début de l'été 1790, car l'intendance et par suite ses agents venaient d'être supprimés. Cependant les hommes qui exercèrent dans les subdélégations, survécurent en général à la disparition de l'institution et furent intégrés aux administrations de la monarchie constitutionnelle et de l'Empire.



Les Subdélégations

Ferrand de Villemain, l'intendant, fit dresser en 1713, un «état d'arrondissement général des subdélégations de la province de Bretagne», cet état porte des indications concernant les chefs-lieux de subdélégations, les évêchés auxquels ressortissent ces chefs-lieux, le nombre de paroisses et la distance de celles-ci aux chefs-lieux. Il ressort de ce tableau d'ensemble qu'il existait en Bretagne, en 1713, 86 subdélégations, ramenées à 82 à la fin de cette même année.
Cela constitue l'originalité de l'intendance de Rennes par rapport à toutes les autres qui elles possédaient peu de subdélégations. L'origine en était d'abord, à n'en pas douter, comme le laissera entendre plus tard, Bertrand de Molleville, dans ses commentaires sur l'intendance, dans l'immense étendue de la province, dans la conformation même des bourgs tous pourvus d'un nombre très important de «villages» ou hameaux et à la difficulté des communications. Cela était dû aussi, à l'enchevêtrement et au nombre des juridictions seigneuriales qu'il faut connaître et aussi ménager.


Il est non moins intéressant de constater que le nombre de paroisses constituant le ressort de la subdélégation est d'autant plus grand que nous nous trouvons dans le «plat pays» où les difficultés ne sont pas nombreuses, par exemple pour notre territoire: Dinan, 23 paroisses; Guingamp, 27; Saint-Brieuc, 20; par contre, là où, pour des raisons diverses des conflits sont à craindre, les limites de la subdélégation sont étroites: Rostrenen, pays agité en 1675, constamment surveillé depuis, situé à un croisement important, 6 paroisses; Uzel, pays très original où se produisaient parfois des «mouvements» parmi les tisserands, bourg dominant la vallée de l'Oust, 3. Le souci de maintenir l'ordre, de faire sentir effectivement l'autorité du prince a donc été essentiel.


Sous l'intendance de des Gallois de La Tour, en 1729 il y a toujours 82 subdélégations en Bretagne, qui se répartissent par évêché pour notre territoire en:

On peut donc considérer, qu'il pourrait y avoir eu 19 subdélégations sur notre territoire à cette époque.

Un mémoire de l'intendant de La Tour, pour cette même époque, sur les terres incultes en 1733, fait ressortir ce nombre de 19 subdélégations:

Entre 1733 et 1753, Védier, le subdélégué général à l'intendance, avait été amené à réduire le nombre des subdélégations de 82 à 62. Il s'efforça surtout d'éliminer les subdélégations des agents les moins sûrs, surtout ceux qui, parmi eux, étaient officiers généraux.


En 1786, d'après les études de Guy Arbellot et Jean-Pierre Goubert du centre de recherches historique du C.N.R.S., il ne restait plus que 63 subdélégations en Bretagne dont 12 sur notre territoire (: Saint-Brieuc, Paimpol, Pontrieux, Tréguier, Lannion, Guingamp, Callac, Corlay, Quintin, Lamballe, Moncontour et Dinan.Ce nombre a pu être établi à partir d'une enquête sur les sages-femmes et par les relevés des baptêmes, mariages et sépultures par subdélégations en 1786, sous l'intendance de Bertrand de Molleville. A noter que Jugon et Matignon ont été réunis à la subdélégation de Lamballe. Uzel a certainement été réuni très tôt à Quintin, Châtelaudren réuni à Guingamp, Loudéac dont nous reparlerons réuni à Pontivy puis à Josselin, Broons réuni à Mautauban et Rostrenen réuni à Callac et à Corlay.


A partir de cette cartographie, on peut étudier le nombre de paroisses contenues dans chaque subdélégation avec la répartition de celles-ci par évêché.


Evêché de Saint-Brieuc:


Evêché de Tréguier:


Evêché de Haute Cornouaille (Quimper):


Evêché de Saint-Malo:


Evêchés de Saint-Brieuc et Quimper:


La subdélégation de Quintin présente des paroisses de deux évêchés, malgré le souci constant des intendants de délimiter les subdélégations par évêchés. Ce phénomène est sans doute du au fait que le fief ou la châtellenie de Quintin a toujours été à cheval sur les deux évêchés et que lors de la création de la subdélégation, l'intendant n'a pas voulu mécontenter le sire de Quintin qui était le Comte de Durfort, devenu Duc de Quintin en 1691, puis Duc de Lorge en 1706.


Au sujet de la subdélégation de Loudéac, il y a une mise au pont à faire, car si nous ouvrons les «Annales Briochines» de l'Abbé Ruffelet, nous trouvons pour 1771, une subdélégation de Loudéac, or à la mort du subdélégué de Loudéac en 1756, l'intendant Le Bret réunit la subdélégation de Loudéac à celle de Pontivy, celle-ci fut réunie par la suite à Josselin. Dans les courriers adressés à l'Abbé Ruffelet par un de ses informateurs, celui-ci lui écrit: «il y a quelques années, depuis laquelle tous les subdélégués de Josselin ont exercé la subdélégation de Loudéac;». La subdélégation de Loudéac n'existait plus depuis 1756, mais par dépit elle restait vivante pour ceux qui avaient regretté sa réunion à Pontivy puis à Josselin et surtout pour le fils cadet du dernier subdélégué, Gabriel-Hypolyte Allanic de Bellecherre qui souhaitait récupérer la subdélégation de son père et qui dans un mémoire adressé à l'intendant Caze de La Bove: lui faisait valoir la prospérité de Loudéac, grand marché de toiles où un mouvement d'argent dépassant 100.000 livres se faisait chaque jour de marché. La Bove ne céda pas aux sollicitations d'Allanic de Bellecherre, qui était déjà sénéchal de Rohan pour Loudéac, parce que précisément, il ne voyait aucun intérêt à ce que l'autorité royale se mélangea à l'autorité seigneuriale.

On a pu constater comment sous l'intendance de Bretagne et particulièrement après la création et la mise en place des subdélégués, on assiste pendant tout le XVIIIe siècle a un essai de mise en place d'une administration provinciale, qui tentait de remplacer progressivement un vieux système féodal et seigneurial qui n'en pouvait plus et dont les seigneurs vivaient de moins en moins sur place, puisqu'ils étaient attirés pour les plus grands vers les villes importantes et aussi à Versailles.


Mais pour créer un corps de fonctionnaires dévoués et aptes à gérer une circonscription qui leur est impartie, il eut fallu pouvoir leur assurer un traitement décent, qui leur permette de vivre sans être obligé d'exercer par ailleurs un office. L'intendant Caze de La Bove ne proposait-il pas dans un mémoire en 1775, un traitement minimum annuel de 2.2000 livres pour les subdélégués. L'idée était fort intéressante, mais le contrôleur général ne pouvait la retenir à cause de ses incidences financières.


On serait arrivé avec l'intendant, ou «Préfet de région» et 20 subdélégués ou Sous-préfets» répartis sur l'ensemble de la Bretagne a un système administratif que l'ont ne connaît pas encore, malgré les multiples réformes que nous avons connues depuis la Révolution. En effet si l'on en reste à ce que nos manuels d'Histoire de France issus de la vision de Jules Ferry, ont essayé de nous inculquer, il n'y a eu aucune réforme administrative en France avant la Révolution. Celle-ci a presque tout inventé et essayé de mettre en place: les Départements, les Cantons, puis les Arrondissements. Or il suffit de lire le «Mémoire concernant les subdélégués de l'intendance de Bretagne» de 1775 pour se rendre compte que tous ces mots sont déjà employés et que l'administration au sens actuel du terme pourrait encore y puiser des idées de simplification de l'administration territoriale.


J'espère avoir répondu, avec cette étude, au voeu de Monsieur René Durand, qui écrivait en 1927 dans «Le département des Côtes-du-Nord sous le Consulat et l'Empire» tome 1 dans une note en bas de page, à propos des subdélégués et subdélégations «L'institution est d'ailleurs fort mal connue et nécessiterait une monographie».


Michel Chevalier

Bibliographie:

 

Liste des subdélégués connus pour le département actuel des Côtes d'Armor

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